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Clémentine Autain : « Aujourd’hui, ce qui domine, c’est l’identité »

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Un pour tous, tous pour elle. La députée LFI de Seine-Saint-Denis, à l’engagement militant ancien, ne fait pas mystère de son ambition en 2021. Réussir l’union des listes de la gauche francilienne au soir du premier tour des régionales en Île-de-France, le 20 juin prochain. À la seule condition de se hisser en tête devant ses homologues socialistes et écologistes, Audrey Pulvar et Julien Bayou. Son pari ? Qu’un bloc des gauches unies derrière sa candidature renverse un duel annoncé entre la présidente de droite sortante, Valérie Pécresse, et le candidat du Rassemblement national, Jordan Bardella, en un grand soir régional. Quitte à paver le chemin pour 2022… à gauche.

L’occasion de croiser les regards sur un scrutin régional et ses enjeux nationaux dans la région la plus peuplée de France et notamment en Seine-Saint-Denis. Cette « Californie sans la mer » vantée par Emmanuel Macron et dans laquelle l’élue francilienne ne se reconnaît pas. Sur la polémique déclenchée par Audrey Pulvar, sa rivale socialiste, après ses propos sur les personnes blanches en réunion non mixte ? « Tous ceux qui nous donnent des leçons de républicanisme, à commencer par Valérie Pécresse, feraient mieux de balayer devant leur porte », récuse-t-elle. Et de filer la comparaison historique, sur un climat politique délétère à moins d’un an de l’élection présidentielle que d’aucuns comparent aux années 1930 : « Emmanuel Macron ressemble furieusement à Daladier. »

Le Point : Le chef de l’État, dans le trimestriel Zadig, qualifie le département de la Seine-Saint-Denis de « Californie sans la mer »… Le président de la République est-il prisonnier en son palais ?

Clémentine Autain : Le président de la République a découvert la Seine-Saint-Denis en regardant Les Misérables [le film du réalisateur Ladj Ly, NDLR]… C’est assez affligeant, d’autant que notre réalité est aussi celle de nombreux quartiers populaires en France. Je peux lui faire crédit de chercher à donner une image positive de la Seine-Saint-Denis. Je ne cesse de dire que nous sommes riches de jeunesse, de créativité, d’entraide. Mais le rêve américain, ce n’est pas ce que je souhaite aux habitants de notre département. Le chef de l’État passe à côté de la réalité et des besoins du 93. Oui, nous sommes l’un des territoires les plus dynamiques en termes de création d’entreprises, de TPE/PME, mais ce que le président oublie de dire, c’est que beaucoup d’entre elles ne passent pas le cap des deux années de vie. De la pauvreté et la précarité, il ne dit rien. Or, un habitant d’Aubervilliers sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté ; à l’échelle du département, c’est un sur cinq. Les records que nous battons, ce sont ceux du nombre de chômeurs ou d’allocataires du RSA. Ce n’est pas le seul bilan d’Emmanuel Macron, mais l’ensemble de sa politique coûte cher aux populations de notre département. Nous payons des décennies de politiques publiques inégalitaires et austères. Notre département reçoit moins d’argent de l’État que tous les autres départements, et ce, indépendamment de la situation sociale de ses habitants. J’attends du président et du gouvernement des actes, et non de la communication. Nous n’avons pas la mer et ce dont nous avons besoin, avant tout, c’est d’égalité.

Vous êtes candidate à la région Île-de-France, il n’y a pas que le département de la Seine-Saint-Denis, comment réconcilier des territoires aussi distincts que Nanterre ou Levallois-Perret ?

Le rééquilibrage est essentiel pour la Seine-Saint-Denis, comme il l’est partout en Île-de-France. Les Yvelines comptent aussi des poches de pauvreté. Et le riche département des Hauts-de-Seine, une grande ville populaire comme Gennevilliers. Dans Paris, non plus, on ne vit pas de la même façon, que l’on soit boulevard Mortier ou place des Vosges. Pour réconcilier Nanterre et Levallois, il faut de la justice sociale et du partage. Il faut sortir du modèle de développement qui conduit à des villes-dortoirs, d’un côté, et des centres d’affaires, de l’autre. Il faut fédérer autour de l’indispensable transition écologique, qui doit être l’occasion d’améliorer la qualité de vie de tous et de bâtir de grands projets utiles. Je suis frappée par le fait que 58 % des actifs franciliens rêvent de quitter la région pour s’installer ailleurs. C’est l’objet de mon slogan de campagne : « Pouvoir vivre en Île-de-France ». Il s’adresse à celles et ceux qui aujourd’hui survivent, souffrant du coût de la vie, notamment au centre de la région. Il s’adresse aussi à celles et ceux qui n’en peuvent plus de la pollution, du manque d’espaces verts, du rythme stressant.

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Valérie Pécresse vous a désigné comme l’ennemi à abattre, mercredi 2 juin sur France Info, en appelant à battre « d’abord et avant tout, une gauche très puissante en Île-de-France et qui a dérivé bien loin des valeurs républicaines ». Dans nos colonnes, Laurent Saint-Martin, à son tour, qualifiait la gauche francilienne de gauche « la moins républicaine du monde ». C’est un signe que la campagne s’emballe à moins de trois semaines du premier tour ?

Je ressens beaucoup de fébrilité chez Valérie Pécresse. La présidente sortante a très bien compris que nous étions les seuls à pouvoir gagner face à elle, avec le rassemblement de la gauche et des écologistes au second tour. Si je suis en tête le 27 juin, je ferai le rassemblement au second tour. Julien Bayou et Audrey Pulvar viennent de s’y engager, j’y étais prête dès novembre. Ensemble, les candidats de gauche en Île-de-France constituent un bloc de 30 %, soit le score de Valérie Pécresse qui n’a pas de réserve de voix. C’est pourquoi elle essaie désespérément de diviser la gauche et elle me cible car je représente la candidature de gauche la plus solide et cohérente face à elle, celle qui peut créer la surprise et la dynamique populaire nécessaire pour l’emporter au second tour. Et, ce faisant, elle use de l’anathème islamo-gauchiste, communautariste, d’extrême gauche et que sais-je encore. Des mots creux pour éviter le débat et chercher à discréditer. C’est lamentable. J’attends un débat de fond, sur son bilan et sur l’avenir de la région. Et puis, soyons clairs, la vraie menace pour la République, c’est Marine Le Pen, avec son projet xénophobe, antisocial et autoritaire. Aujourd’hui, l’extrême droite est aux portes du pouvoir, mais Valérie Pécresse nous cible et chasse en permanence sur ses terres. Elle s’est lancée dans un concours Lépine des idées d’extrême droite. Elle ose donner des leçons de République alors que, dans nombre de ses actes à la région et dans ses obsessions liberticides, elle foule aux pieds ses principes fondamentaux. Je rappelle que sa suppression de tarification sociale pour les sans-papiers, sa « clause Molière » contre les agents du BTP ne parlant pas français ou sa charte de la laïcité ont été retoquées juridiquement. Autant de mesures contraires aux fondamentaux de notre droit républicain. De plus, l’article 1 de la Constitution établit que la République est une, indivisible, laïque, démocratique et sociale. Vous aurez remarqué que tous ces gens qui font profession de République s’assoient totalement sur le volet social. Or, oublier le social, c’est être étranger à l’esprit républicain. Je regrette que Valérie Pécresse mais aussi Laurent Saint-Martin courent après le Rassemblement national dans la région la plus peuplée de France. Là est le danger.

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Vous constatez la même chose au niveau national ?

Le président de la République dans Zadig a comparé la période actuelle à la fin du Moyen-Âge, à l’aube de la Renaissance. Je crains qu’il ne se trompe d’époque et que nous soyons plutôt dans les années 1930. Emmanuel Macron ressemble d’ailleurs de plus en plus à Daladier. Il devait être un rempart au néofascisme, il est devenu une passerelle. Comme Daladier autrefois, il réprime les grèves, se mue en personnage autoritaire, mène une politique sociale violemment défavorable aux catégories populaires. L’Histoire ne doit pas se répéter, surtout quand elle est si tragique. Mon obsession, c’est de redonner des couleurs et du tranchant au camp de l’émancipation humaine.

Vous évoquiez les années 1930, or le Front populaire en 1936 avait réussi l’union des gauches. Un exemple difficile à suivre ?

1936, quel bel exemple de conquête de nouveaux droits, comme les congés payés dont nous continuons à profiter aujourd’hui ! Je pense que le problème majeur, c’est la faiblesse de la gauche. Vous savez à quel point je suis attachée au rassemblement. J’ai fait mille et une réunions de discussions unitaires avec tous les partenaires de gauche et écologistes. Je suis favorable à toutes ces passerelles, mais il faut que ce rassemblement se fasse sur des bases cohérentes et suffisamment fortes pour créer une large adhésion populaire. Ce ne sont pas nos partis que nous avons avant tout à fédérer, c’est le peuple. Ce que nous dirions ensemble sur l’Europe, sur la réforme des retraites ou celle du chômage ne peut pas se situer sur un compromis de bas étage. Le rassemblement à gauche est beaucoup plus facile à l’échelle locale, régionale, que d’un point de vue national. Il y a de véritables enjeux de fond, c’est une erreur de ne lire qu’une bataille d’ego. C’est toute la gravité du moment : dégager des lignes claires et rassembleuses pour déjouer le dangereux duel annoncé entre Emmanuel Macron et Le Pen.

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Vous évoquez les conditions du rassemblement, vous sentez-vous proche d’Audrey Pulvar lorsqu’elle défend le principe des réunions « non mixtes racisées » organisées par l’Unef en déclarant, notamment, qu’on peut demander à « une femme blanche, un homme blanc, etc. […] de se taire ».

On peut discuter de la formulation, à l’évidence maladroite, mais sur le fond elle a raison. Les réunions non mixtes sont des moments qui permettent à celles et ceux qui sont opprimés et discriminés de pouvoir libérer leur parole. En tant que militante féministe, j’ai même créé en 1997 une association qui s’appelle Mix-Cité, un mouvement mixte pour l’égalité entre les sexes. Vous ne me prendrez pas en défaut d’universalisme. Mais l’universalisme ne doit pas être abstrait, il ne peut pas nier les inégalités et les discriminations, le racisme et le sexisme. En fait, ces moments ou réunions de non-mixité favorisent ensuite la mixité réelle, celle qui s’émancipe des rapports dominant-dominé. Je n’y vois ni menace ni gravité et ne comprends même pas l’ampleur qu’a prise la polémique, car il s’agit d’une pratique traditionnelle dans tous les mouvements émancipateurs. Tous ceux qui, contrairement à nos principes fondateurs, nous donnent des leçons de républicanisme, à commencer par Valérie Pécresse, feraient mieux de balayer devant leur porte. Avant, on parlait d’égalité, aujourd’hui, ce qui domine, c’est l’identité. Le débat s’est déplacé, au mépris des principes républicains qui devraient nous être communs. La pente est extrêmement dangereuse.

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Si vous deviez être en tête au second tour en Île-de-France, est-ce qu’une alliance entre candidats de gauche aurait valeur d’exemple au niveau national ?

La vraie question, c’est de savoir qui va présider la région, quel projet sera l’ossature de la prochaine mandature. Je pense d’ailleurs que les électeurs procèdent échéance par échéance. Quel enseignement en tirer ? Nos projets ne sont pas des copiés-collés. Pour ma part, je réponds : chaque chose en son temps.

Le candidat du Rassemblement national, Jordan Bardella, arrive deuxième derrière Valérie Pécresse en Île-de-France. En 2022, les sondages opposent Marine Le Pen à Emmanuel Macron. Le barrage républicain a-t-il encore un sens pour vous ?

Je refuse de répondre à la question du second tour. Je n’en peux plus de cette imposition médiatique. Il peut se passer beaucoup de choses dans l’année qui vient parce qu’il y a une immense colère sourde dans notre pays et de la lassitude vis-à-vis de la politique instituée et des médias dominants. Je pense souvent à cette phrase de la philosophe Hannah Arendt : « Ceux qui optent pour le moindre mal tendent très vite à oublier qu’ils ont choisi le mal ». Notre tâche, c’est de construire une autre perspective, qui tienne tête à ceux qui nourrissent la bête immonde, en visant à éviter le pire et à construire le meilleur. Ceux qui pensent que l’on combat nos adversaires en chassant sur leurs terres, en leur concédant sans cesse plus de terrain, se trompent de chemin. Il est possible de gagner face à Valérie Pécresse, de dépasser cette petite musique qui voudrait que le match soit écrit d’avance et de casser un duel LREM-RN en 2022.

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Tous ces ministres candidats en Île-de-France, Gabriel Attal dans les Hauts-de-Seine, Marlène Schiappa à Paris, c’est la preuve que Valérie Pécresse fait peur ?

Je pense plutôt qu’ils cherchent une porte de sortie pour l’avenir. C’est lunaire de voir autant de membres du gouvernement prendre le temps de faire campagne plutôt que d’exercer leurs fonctions en pleine pandémie et dans cette crise sociale inédite.

Aides massives, plan de relance qui se chiffre en milliards, campagne de vaccination gratuite… Forcé de constater que le gouvernement ne regarde pas à la dépense. Est-ce que ça ne prive pas votre famille politique de l’un de ses arguments de campagne : la lutte contre l’austérité ?

Des aides sont massivement données sans contreparties sociales et environnementales à de grands groupes, qui engrangent des profits et licencient, quand les premiers de corvées sont toujours à la peine. Même l’ouverture du RSA aux jeunes, la restauration de l’ISF ou une taxe Covid pour que les hyper riches mettent au pot commun ont été rejetées par le gouvernement. L’argent magique n’est pas pour tout le monde… Surtout, je vois plutôt une série d’échecs et de retards coupables dans la politique gouvernementale, qui a mis au jour l’incapacité de la start-up nation à organiser l’État. Regardez les graves loupés sur les masques, les blouses, le fameux « tester-tracer-isoler », les vaccins… J’ai le sentiment que le pays va de fiasco en fiasco. Et en prime, en France, on continue à fermer des lits d’hôpital…

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Quelles sont les chances de Jean-Luc Mélenchon pour 2022 ? À force de refuser de l’union, difficile de se présenter aujourd’hui en recours ?

Je suis concentrée sur l’élection régionale, où je mène un rassemblement avec des Insoumis et des communistes qui, à ce jour, n’ont pas le même candidat à la présidentielle. Je vous répondrai donc après le 27 juin… Mais je me permets juste un mot d’observation : n’avez-vous pas remarqué que les autres candidats, réels ou supposés, semblent avoir moins de chance que lui à l’heure où je vous parle et ne sont pas les derniers à refuser l’union ?

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Source :www.lepoint.fr

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